La diablada de Píllaro, fête traditionnelle équatorienne

Par Sergio Soliz

 

À Píllaro, localité d’environ 38000 habitants située à 2800 mètres d’altitude dans la partie centrale de l’Équateur, l’année commence en musique.
Des groupes de musiciens et de danseurs, déguisés en diables, se donnent rendez-vous sur la place centrale de la ville, pour une fête qui va durer du premier au six janvier.
Venant des différents quartiers et des communautés des environs, ces groupes ont chacun leur propre personnalité.

Contrairement aux défilés militaires ou aux processions, organisés par les institutions établies, où il existe une frontière entre ceux qui défilent et ceux qui observent, ici on ne regarde pas seulement la fête : on la vit.
La population se mêle aux danseurs, buvant et dansant avec eux au rythme des sanjuanitos, saltashpas, tonadas et pasacalles.

Les diables sont vêtus de rouge et de noir, et cachés par des masques terrifiques, confectionnés artisanalement et ornés de dents et de cornes animales. Venant de toutes parts, ils investissent le centre ville et forment un cortège accompagné d’autres personnages caractéristiques de cette fête : le capriche (muni de son balai), les líneas (qui se moquent des riches) et les guarichas (responsables de l’interaction avec le public).

Ces derniers invitent les participants à danser mais aussi à partager la boisson. Ce sont, en fait, des hommes déguisés en femmes qui cachent leur visage avec un voile et portent dans leurs mains une poupée (le fils illégitime), un mouchoir et une bouteille de liqueur.

Une danse d’exilés ?

On a beaucoup spéculé sur les origines de la diablada de Píllaro. C’est une mission difficile que d’obtenir des informations sur ce sujet sachant qu’une grande partie de la documentation a disparu dans les flammes. En effet, pendant le soulèvement indigène de 1898, la ville a été aux mains des Indiens : il y a eu de nombreux pillages et les archives conservées par le conseil municipal, les commissariats ou les tribunaux ont été brûlées.

On présume que, comme nous sommes en présence de diables, cette figure du mal provient sûrement des représentations et théâtralisations de la période coloniale, quand il s’agissait d’évangéliser et catéchiser les Indiens colonisés. C’est en effet déguisés en diables que les Indiens se moquaient de l’Eglise et de ses pratiques, dans une protestation ouverte contre la religion imposée et contre les abus du colonialisme.

Il existe aussi une version qui affirme que ces diables sont arrivés jusqu’à là en voyageant à travers l’âme des mitimaes. Connus aussi comme les exilés de l’empire inca, les mitimaes étaient des groupes de familles séparés de force de leurs communautés d’origine, en vertu du principe bien connu : diviser pour régner. En séparant les populations qu’ils supposaient être une menace pour leurs intérêts, les colons affaiblissaient ainsi le poids de la population indigène sur le territoire.

Cette version expliquerait, selon certains auteurs, les similitudes avec d’autres célébrations du même type dans d’autres endroits. La figure du diable comme représentation du mal apparaît en effet dans différentes expressions artistiques de l’Amérique latine et il n’est pas si étonnant que des lieux si différents géographiquement possèdent en commun la diablada, une danse qui met en scène la lutte du bien contre le mal.

Ainsi, il existe des diables danseurs à Naiguatá, Chua ou Yaré au Vénézuéla, à Puno au Pérou, au Chili lors de la festivité de la Tirana, et en Bolivie, où la diablada est au centre de l’un des carnavals les plus célèbres d’Amérique latine, celui d’Oruro.

Ces théâtralisations auraient donné lieu des adaptations et des juxtapositions avec les croyances locales dans un lent processus de syncrétisme, ce qui justifierait ces interprétations différentes d’un même phénomène.

La fête des retrouvailles

En plus de ce déploiement visuel et sonore et de cette explosion de joie communautaire, la diablada de Píllaro s’est transformée pour une bonne partie de pillareños en une fête de regroupement familial. En effet, c’est justement à cette époque de l’année que la plupart des pillareños, qui ont dû migrer pour des raisons diverses, retournent chez eux pour retrouver leurs familles et leur culture.

Cette communauté jouit donc d’un environnement séduisant, d’autant qu’on trouve aussi dans cette zone le Parc National des Llanganates, une réserve écologique magnifique dans laquelle a été caché, selon la légende, le trésor que devait payer l’Inca Atahualpa pour sa libération.
Cette légende raconte qu’après l’exécution d’Atahualpa par les Espagnols, Rumiñahui, général inca héros de cette région de l’Équateur, entreprend des actions pour défendre le Royaume de Quito et décide, entre autres, de cacher le trésor des Incas justement dans la zone des Llanganates où, en théorie, il se trouve encore.

Que vous souhaitiez « vendre votre âme au Diable » en buvant et en dansant avec le pillareños ou profiter d’une région particulièrement gâtée par la nature, Píllaro vous attend les bras ouverts, avec en prime, un trésor inca à découvrir.